狮王传说

传说中狮子王的故事
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La géopolitique du Tibet(ZT)

(2008-04-13 05:22:40) 下一个

                                   

Je tiens à remercier vivement Pierre Chapoutot d’être parmi nous ce soir. Pour nous, nous le public du café-géo, pour l’amour du Tibet, et au nom de l’amitié, Pierre a quitté pour quelques jours sa région D’Annecy.

Pierre Chapoutot est professeur d’histoire et de géographie dans la région d’Annecy. Il est Grimpeur et Alpiniste renommé, auteur d’un grand nombre de premières dans les Alpes et en Oisans Auteur de plusieurs ouvrages de montagne dont « La Montagne c’est pointu » et un livre exhaustif sur la Meije.

Membre du GHM et rédacteur en chef des Annales du GHM depuis plusieurs années. Il a notamment préparé dans les annales 2001 un dossier sur le Tibet et c’est à partir de cette réflexion que nous l’avons convié à cette causerie.

Si le hasard a un rôle dans les affaires de ce monde, il a curieusement doté l’Asie d’une triple dimension, spirituelle, géographique et humaine inégalée dans les autres continents. Spirituelle, car l’Asie a vu s’incarner Boudha, Jésus et Mohamed.

géographique, car de la mer noire au pacifique, de la Sibérie aux mers de Chine, l’Asie s’impose par ses proportions vertigineuses.

Humaine, car nulle part ailleurs on ne trouve une telle diversité ethnique, une telle densité des populations. .pierre je vous laisse le soin de de nous éclairer sur le « Tibet Mythe », comme lieu paradisiaque et le « Tibet Reel », sur la réalité politique, sanitaire, démographique...

Pierre Chapoutot

Géopolitique du Tibet : « Tibet imaginaire, Tibet réel »

Le Tibet : une question à l’ordre du jour, sinon à la mode, qui s’invite, parfois de façon véhémente, dans les débats de nos associations. Il y a peu, c’était le projet d’expédition franco-chinoise dans le versant tibétain de l’Everest qui déchaînait la tempête sur l’Assemblée Générale du G.H.M. Aujourd’hui, c’est la création de l’école de guides de Lhassa, avec l’active participation de la F.F.M.E., qui mobilise des énergies contraires. Il y a ceux qui y voient l’occasion d’une démarche humanitaire ; mais les autres dénoncent une collaboration infâme (et peut-être bassement intéressée) avec un pouvoir criminel. Et il se trouve que le G.H.M. compte en son sein des ténors de chacun des deux camps. Il va de soi que nous n’allons pas ici résoudre le problème. Mais le fait même que le débat existe et passionne est un bon signe : nous sommes donc parvenus à un stade où un certain nombre d’acteurs s’interrogent sur l’éthique du voyage, et admettent que l’acte de grimper n’est pas totalement innocent. Reste pourtant un motif d’interrogation : pourquoi cette sensibilité se manifeste-t-elle de façon aussi exclusive à propos du Tibet ? Certes, le drame que traverse actuellement ce pays est d’une dimension particulière, dans son étendue comme dans son intensité. Depuis cinquante ans, le pouvoir communiste chinois fait régner au Tibet une impitoyable répression frappant aussi bien les hommes (il y aurait déjà eu 1,5 million de victimes, toutes raisons confondues, alors que le chiffre officiel de la population est de 2,4 millions) que les formes et les signes de la vieille culture bouddhiste (95 % des monastères détruits) ; parallèlement, il développe une colonisation économique et humaine qui submerge peu à peu la population de souche tibétaine sous le poids démographique des Han, tandis que les ressources naturelles du haut plateau sont exploitées sans ménagements. Et comme différentes formes de résistance se sont développées, on est entré dans l’engrenage classique dans lequel la répression trouve sa justification dans la rébellion, et réciproquement. En même temps, quelque 200 000 Tibétains (soit au moins 8 % de la population locale, si l’on se réfère aux chiffres officiels) ont pris le chemin de l’exil, regroupés pour beaucoup en Inde, à Dharamsala, autour de leur autorité politico-religieuse traditionnelle, le Dalaï Lama XIV Tendzin Gyamtso (titulaire depuis 1989 du Prix Nobel de la Paix). Ajoutons que, aux yeux de beaucoup, la présence de la Chine au Tibet est historiquement et juridiquement illégitime, et que par conséquent il doit être considéré comme un pays agressé, occupé et colonisé, sinon soumis à un véritable ethnocide (certains parlent même de génocide).

Une exception tibétaine ? Pourtant, si l’on examine le monde dans son ensemble, force est d’admettre que ce type de situation n’est malheureusement pas unique. Si les choses se sont spectaculairement améliorées depuis 15 ou 20 ans en Amérique latine (à quelques exceptions près, comme en Colombie), l’Ancien Monde fait bien mauvaise figure. Du Golfe de Guinée à la Nouvelle-Guinée, c’est de façon presque continue que s’enchaînent les contrées (très souvent montagneuses) où sévissent des situations humainement intolérables : régimes d’oppression, persécutions ethniques ou religieuses, guerres civiles, conflits frontaliers, quand il ne s’agit pas de massacres organisés à plus ou moins grande échelle. En Afrique, les sublimes montagnes du Ruwenzori sont actuellement le théâtre de conflits imbriqués d’une effrayante barbarie. En Asie, il n’est pratiquement aucune région de haute montagne qui soit exempte de motifs (divers) d’indignations militantes : Kurdistan, Caucase, Pamir, Wakhan, Hindou-Kouch, Himalaya, montagnes de Birmanie (Myanmar), de l’archipel indonésien ou de l’Irian Jaya (Papouasie occidentale)... Ici et là, nombreux sont les peuples privés de leurs droits les plus élémentaires (Kurdes, Palestiniens, Tchétchènes, Kashmiris, Papous...), nombreux aussi les systèmes intolérants, brutaux, cyniques et/ou criminels, de la Syrie et de l’Irak à l’Afghanistan et au Pakistan, ou encore au Myanmar - liste naturellement non exhaustive. Si les alpinistes devaient solennellement s’engager à boycotter les pays où sévissent des systèmes indignes, ce n’est pas seulement la Chine qu’il faudrait stigmatiser, mais il faudrait sans doute aussi tirer un trait sur le Pakistan, aussi bien pour le traitement infligé à la moitié de sa population (les femmes) que pour le soutien (euphémisme !) apporté aux bourreaux de l’Afghanistan, les talibans, ou aux organisations plus ou moins terroristes qui mènent la djihad dans le Cachemire indien1. Il n’est pas certain qu’on y soit prêts... Alors, pourquoi le Tibet ? L’une des raisons tient sans doute au fait que, de toutes les tragédies asiatiques, le drame tibétain est aujourd’hui le mieux « mis en scène » par ses propres acteurs et ses sympathisants. Au siècle de la communication, le fait de pouvoir incarner une cause dans une personnalité aussi forte et aussi habile que celle du Dalaï Lama est un atout formidable. On peut aussi penser au rôle de l’image, par exemple à propos de films récents dotés d’une efficacité incontestable (même si ce ne sont pourtant pas nécessairement des chefs-d’œuvre) comme Little Bouddha, Sept ans au Tibet ou l’Enfance d’un chef. Mais cela n’explique pas tout, et c’est dans l’ordre du symbolique qu’il faut chercher les explications profondes : touchant aux plus hautes montagnes de la terre, abritant une civilisation pleine d’étrangeté, protégé des approches rationnelles par son aura de « pays interdit », le Tibet joue pour nombre d’Occidentaux le rôle du Paradis terrestre - et cela ne date pas d’hier.

Enquête sur un mythe himalayen On a longtemps cherché le Paradis terrestre du côté de l’Orient proche (la Mésopotamie faisait assez bien l’affaire), jusqu’à la « découverte » des Indes aux XVIIème-XVIIIème siècles, d’où est résultée une « indomanie » qui a revêtu les formes les plus diverses, allant de la fantasmagorie des Indes galantes de Jean-Philippe Rameau aux premières études sur le bouddhisme2. L’un des premiers découvreurs du Tibet est un Hongrois de Transylvanie, Alexandre Csoma de Körös, parti à la recherche des origines de sa langue, et donc de son peuple. Il trouve asile dans un monastère du Zanskar, où il rédige un dictionnaire de langue tibétaine. Si cette démarche est scientifique, elle peut être instrumentalisée dans un sens nettement plus militant : il s’agit de prouver, par le biais la philologie, que c’est l’Himalaya qui est le berceau des civilisations européennes. Il faut donc établir la parenté entre les langues et les races : le sanskrit est alors promu au statut de langue-mère (après que William Jones ait établi sa parenté avec le grec...) et l’Himalaya devient le berceau de la race aryenne. Ces thèmes sont abondamment diffusés par des auteurs rationalistes et modernistes, également obsédés par la question des origines. Edgar Quinet, historien anticlérical et grand républicain, décrit en 1833 « les tribus humaines rassemblées au sommet de l’Himalaya » (à cette époque, on s’imagine encore que les hautes altitudes sont des lieux tempérés, agréables à vivre). De là, les races humaines auraient essaimé vers les différents bassins de peuplement. Ernest Renan écrit en 1850 : « Tout nous porte à placer l’Eden des Sémites au point de séparation des eaux de l’Asie, à cet ombilic du monde que toutes les races semblent nous montrer du doigt comme le point où se rencontrent leurs plus anciens souvenirs. Saluons ces sommets sacrés, où les grandes races qui portaient dans leur sein l’avenir de l’humanité contemplèrent pour la première fois l’infini, et inaugurèrent les deux faits qui ont changé la face du monde, la morale et la raison. » Pour Renan, comme pour Michelet ou Nietzsche, le bouddhisme est perçu dans sa dimension rationnelle et totalement athée, comme un antidote à l’obscurantisme chrétien, ce qui n’a évidemment rien à voir avec les approches actuelles, ni avec les caractéristiques du bouddhisme tibétain. Par ailleurs, le mythe a une cohérence géographique : le « berceau de la race » ne peut se trouver que dans un haut-lieu parfait, un « Toit du monde » (mais on peut penser aussi à un « Grand Orient »...) qui irrigue l’univers de ses bienfaits en nourrissant des fleuves qui sont les sources de la Terre. De la Genèse au Vishnu Purana, nombreux sont les textes qui colportent cette image, et le Tibet fait parfaitement l’affaire, lui qui alimente les sept plus grands fleuves de l’Asie sud-orientale (voir carte p. 122-123), avec les châteaux d’eau du Qinghaï et du Kailash - ce dernier élevé au rang de montagne sacrée par cinq religions asiatiques... et par Mountain Wilderness. Quant à y placer l’Eden des Sémites, c’est évidemment une autre affaire. Il est pourtant utile d’observer que ces élucubrations ont eu la vie dure : le très républicain Edgar Quinet et le très positiviste Auguste Comte, qui y croyaient, seraient sans doute chagrinés de savoir que les théories sur l’origine tibétaine des races et des civilisations allaient plus tard élire domicile dans le IIIème Reich hitlérien, qui poussa le besoin d’identification jusqu’à faire sien - tout en l’inversant - le signe magique indo-tibétain de la svastika (la croix gammée). On est allé jusqu’à se demander si l’expédition allemande de 1939 au Nanga Parbat (expédition passablement connotée de triomphalisme nazi) n’avait pas pour but clandestin une sorte de remontée aux sources de la race aryenne, et l’établissement de relations idéologico-stratégiques entre Berlin et Lhassa3. C’est peut-être pousser un peu loin le bouchon, mais l’épisode a au moins le mérite de montrer jusqu’où peuvent mener les fantasmes... Et on peut aussi observer, indépendamment bien sûr de ces scories, que l’école indo-européenne continue d’avoir des adeptes, par exemple lorsque Paul-Louis Rousset conduit ses recherches sur la toponymie alpine4. Parallèlement au courant positiviste et scientifique, il existe toute une littérature ésotérique qui cultive le mythe du Tibet comme lieu paradisiaque et séjour d’une humanité parfaite : c’est le thème de la « vallée heureuse », qui a d’ailleurs beaucoup voyagé avant d’échouer au Tibet (on l’a longtemps domiciliée au Cachemire). Il a surtout été popularisé par les adeptes de l’occultisme qui ont proliféré à la fin du XIXème siècle en Europe et aux États-Unis. En 1875 est créée la Société théosophique par un colonel américain, Henry Olcott, et un médium russe, Helena Blavatsky, laquelle se prétend instruite par des mystérieux « grands initiés » (mahatmas) cachés au Tibet. Il se trouve que ces élucubrations trouvent un écho dans le mythe tibétain du Shambala. Reste à le découvrir ! En 1934, le peintre Nicholas Roerich monte une expédition dans ce but, avec le soutien d’un politicien illuminé, Henry Wallace, également ministre de l’agriculture du président Roosevelt5. Naturellement, le Shambala est introuvable, bien qu’il existe des guides itinéraires qui en décrivent les accès ! Au même moment (1933) l’écrivain James Hilton publie Les Horizons perdus, roman qui popularise le mythe du Shangri La avec ses surhommes sages et blancs - un mythe assez fort pour que Roosevelt en personne baptise de ce nom sa résidence du Maryland, le futur Camp David6. Où démocrates américains et racistes nazis se retrouvent dans le même miroir à illusions ! Là aussi, il faut se demander si nous sommes suffisamment vaccinés contre ces sottises. Dans quelle mesure les Horizons gagnés de Rébuffat font-ils écho aux Horizons perdus de Hilton ? Moi-même, dans un article général de Technique de l’alpinisme, paru chez Arthaud en 1978, j’ai fait allusion à l’extraordinaire longévité prêtée aux Hunzakots du Cachemire. Quelques années plus tard, des études dignes de foi prouvèrent que la réalité sanitaire et démographique du pays hunza était des plus pitoyables. Et pan sur le bec !

Une version particulière du bouddhisme On est bien obligés aujourd’hui de nous demander si notre propension à localiser en Himalaya, et spécialement au Tibet, nos illusions d’Occidentaux n’a pas repris de plus belle avec la découverte - tardive - du drame tibétain Celui-ci réunit en effet tous les ingrédients d’une dialectique de la perfection : le pays idéal (le paradis) soumis à une épreuve diabolique (l’enfer), cette situation nous donnant l’occasion d’une sorte de ressourcement au moment où nous sommes désillusionnés sur nos propres idoles. Les manifestations de l’actuelle Tibétomanie reposent sur un certain nombre d’équations, la première étant l’équivalence Tibet = bouddhisme = Dalaï Lama. Bien entendu, il n’est pas possible de considérer le Tibet sans reconnaître l’omniprésence du bouddhisme dans sa civilisation. Mais il existe une erreur qui consiste à imaginer que le Tibet représenterait à lui seul la totalité du bouddhisme. On estime à 300 millions le nombre actuel de ses adeptes, essentiellement en Asie du Sud et de l’Est. Sur ce total, 6 millions seulement appartiennent au bouddhisme tibétain, le lamaïsme ou Vajrayâna (« Véhicule de diamant »). L’autorité du Dalaï Lama, son chef spirituel, ne s’étend donc que sur 2 % des adeptes, ce qui n’est pas suffisant pour en faire le pape du bouddhisme. De plus, le Vajrayâna se différencie fortement des autres branches, qu’il s’agisse du Theravâda (bouddhisme originel, essentiellement répandu au Sri Lanka et en Indochine) ou du Mahâyâna (« Grand Véhicule », implanté en Asie orientale du Viêtnam au Japon, via la Chine et la Corée). Le Vajrayâna résulte d’une combinaison entre le bouddhisme ésotérique du Nord de l’Inde (trantrisme) et les croyances animistes et chamaniques antérieures (bön, ou beun), caractérisées par le pullulement d’êtres surnaturels. Le bön s’est modifié et a été codifié après son assimilation par le bouddhisme, mais son influence le colore fortement par l’importance des pratiques magiques, de la divination, de l’astrologie et de la démonologie. Le bouddhisme tibétain est aussi le seul à croire en la réincarnation des grands maîtres dans des enfants, pratique qui est toujours théoriquement en vigueur pour la désignation des dignitaires politico-religieux (à la suite de quêtes rarement exemptes de manipulations fort profanes...) - et qui suscite la plus grande perplexité dans les autres branches du bouddhisme. Ajoutons enfin que son installation au Tibet fut tardive et difficile. Alors que le bouddhisme originel avait commencé à se diffuser en Asie dès le IIème siècle avant J.-C., il ne s’implanta durablement au Tibet qu’au XIème siècle, après une première tentative entre le VIème et le VIIIème. Il finit par devenir religion officielle et obligatoire, peu disposée à tolérer la moindre concurrence. Les tentatives d’implantation de missionnaires chrétiens, esquissées au XVIIème-XVIIIème siècles par des Portugais et des Italiens, butèrent très vite sur des réactions d’intolérance. Les choses s’aggravèrent encore au XIXème siècle, alors que les tentatives - répétées - sont menées par des missionnaires français à partir de la zone d’influence que la France s’est fait reconnaître en Chine du Sud. Finalement, la religion chrétienne est interdite au Tibet en 1880, et les missionnaires français, qualifiés « d’hommes pestiférés » (et sans doute considérés comme des agents étrangers), sont soit expulsés, soit massacrés. On peut se demander si ces différents aspects collent bien avec l’idée que les Occidentaux se font aujourd’hui du bouddhisme, et s’il n’existe pas un double malentendu, à la fois philosophique et historique. « Pour le Bouddha, écrit Frédéric Lenoir7, le bonheur s’obtient au prix d’une longue vigilance et ascèse intérieure dans un total détachement qui implique l’extinction de tout désir, jusqu’au désir même de renaître. Pour l’homme occidental contemporain, il est recherché comme réalisation plénière des potentialités individuelles et comme assouvissement des désirs de l’individu, jusqu’au fantasme d’immortalité. D’un côté le bonheur s’obtient par le détachement de soi, de l’autre par le développement de soi. À moins de consacrer l’essentiel de son temps à la méditation, on voit mal comment le bouddhisme pourrait être adopté dans son intégrité par un Occidental imprégné du culte moderne de l’individu... Nietzsche avait sans doute vu juste lorsqu’il avait annoncé l’avènement d’une sorte de "Chine européenne avec une douce croyance bouddhiste-chrétienne, et, dans la pratique, un savoir-vivre épicurien". La voix lointaine du Bouddha ne parviendra pas à conduire des foules d’Occidentaux sur les chemins du renoncement, en quête du nirvâna. Mais, à l’exception des élites monastiques, y est-elle davantage parvenue en Orient ? Le bouddhisme intégral restera à jamais un élitisme. » Pour beaucoup, l’attrait du bouddhisme réside dans la force des valeurs positives qu’il véhicule, ou qu’on lui attribue en Occident : idéal de sagesse, tolérance, non-violence, défense des droits de l’homme, écologie - en somme un idéal démocratique, éclairé et universel, que ne renieraient ni Victor Hugo ni Jean Jaurès. De fait, on trouve tout cela dans le discours du XIVème Dalaï Lama. Encore faut-il observer que c’est un discours récent, en rupture avec les réalités dont le Tibet a été le théâtre jusqu’en 1950.

Une non-violence à géométrie variable Si l’histoire d’un pays est le reflet du génie de son peuple, celle du Tibet doit nous amener à nuancer fortement l’image d’une société harmonieuse gouvernée par de pieux et sages dirigeants. Jusqu’à ce qu’il tombe aux mains des communistes, le Tibet a été une société féodale extraordinairement arriérée et brutale, dans laquelle quelques dizaines de clans (laïcs ou religieux) exploitaient une population réduite dans son écrasante majorité au servage et au silence. L’histoire politique du Tibet est une interminable succession d’affrontements, de conflits, de rivalités, dans lesquels on a bien du mal à discerner autre chose que des heurts d’ambitions et d’intérêts, ou à repérer l’existence d’un quelconque sentiment national, alors que c’est la clé de l’existence même d’un pays - sauf à considérer la xénophobie, omniprésente dans le Tibet ancien, comme son substitut. On se croirait en présence de l’histoire de la Gaule mérovingienne8... Et il ne faut pas croire que la faute en revienne à la seule fraction laïque de la société. Les monastères ne sont pas en reste, qui sont très souvent au premier rang de confrontations qui peuvent prendre la forme de véritables guerres de monastères. On en sort ahuri par l’ampleur de l’irresponsabilité qui a le plus souvent présidé au gouvernement de ce pays. En généralisant le propos, on doit observer que, pas plus que le christianisme en Occident, le bouddhisme n’a été capable d’immuniser les sociétés asiatiques contre la violence. Pire : il s’est montré capable de toutes les dérives. Au Japon, durant la phase impérialiste initiée par le Meiji à partir des années 1870 et qui devait durer jusqu’à 1945, les moines bouddhistes adeptes du zen allèrent jusqu’à déclarer la guerre « juste cause » et admirent le meurtre des ennemis comme compatible avec la compassion bouddhiste. Seuls une minorité choisirent l’objection de conscience9. Plus récemment, quelques-uns des régimes les plus brutaux de la fin du XXème siècle ont élu domicile dans des pays à forte imprégnation bouddhiste, comme le Cambodge des Khmers rouges (1970-75) ou actuellement le Myanmar (Birmanie). Au Sri Lanka, où une guerre civile ravage depuis des années le Nord du pays, les récents efforts de pacification déployés par le gouvernement élu ont été proprement sabotés par l’opposition acharnée des monastères à toute forme de conciliation. À la limite, on pourrait ajouter à ces manifestations de fanatisme les suicides de protestation pratiqués par les bonzes sud-viêtnamiens dans les années 1960-1975. Naturellement, cela ne signifie pas que le bouddhisme soit responsable de tout ce que l’histoire asiatique charrie de violence, d’autant plus qu’il en a parfois été la victime. Mais cela devrait conduire à s’interroger sur certaines illusions. Le discours du Dalaï Lama sur la démocratie et les droits de l’homme est un discours nouveau, minoritaire - et c’est un discours de l’exil, ce qui représente une difficulté particulière. Il faut d’ailleurs noter que ses conseils de résistance non-violente sont de moins en moins écoutés de ceux qui, à l’intérieur du Tibet occupé, ont rejoint les rangs de la résistance. Et se pose aussi la question du devenir de ces positions lorsque leur héraut - présentement âgé de 67 ans - aura disparu.

Vieux Tibet, Chine ancienne Autre sujet de malentendu : le problème de la nature des rapports entre le Tibet et la Chine. Deux versions s’opposent de façon radicale : pour le gouvernement de Pékin, le Tibet est depuis toujours une dépendance de la Chine, si bien que la question tibétaine n’est qu’une affaire intérieure chinoise (c’est l’équivalent de ce qu’était la position de la France à propos de l’Algérie entre 1955 et 1962, ou de l’actuelle position de la Russie à propos de la Tchétchénie). Pour la résistance tibétaine au contraire, et bien sûr ses sympathisants, le Tibet est un pays indépendant injustement agressé, puis occupé et colonisé par une puissance étrangère à partir de 1950. Pas facile de trancher. On pourrait être tenté de renvoyer les deux parties dos à dos, tant il est vrai qu’elles manipulent beaucoup les faits et jouent sur les mots. La réponse est d’autant moins aisée qu’elle met en jeu des concepts de relations internationales pas toujours applicables au cas tibétain. Essayons quand même. La question des rapports mutuels se pose à partir du moment où apparaissent des entités étatiques. Pour le Tibet, il faudra attendre le VIIème siècle après J.-C. : jusque-là, son histoire relève de la pure mythologie. Ce n’est pas le cas pour la Chine, qui peut se vanter aujourd’hui de posséder le plus ancien État de la planète, puisque l’Empire de Chine naît au IIIème siècle avant J.-C., sous la dynastie des T’sin. À cette époque, Rome en était encore à guerroyer avec Carthage... Il n’y a alors aucune interférence entre l’espace tibétain (parfaitement défini par sa périphérie de hautes montagnes) et l’espace chinois, installé sur les plateaux et les plaines traversés par le Fleuve Jaune et le Fleuve Bleu. C’est sous la prestigieuse dynastie des Han (de 206 avant J.-C. à 220 après J.-C.) que l’espace chinois est étendu à la « Chine des 18 Provinces », qui correspond encore aujourd’hui à la Chine « proprement dite », de Pékin à Haïnan et de Taïwan au Sichuan. Il reste stable pendant plus d’un millénaire (sans toujours maintenir son unité). La Chine est alors le plus grand foyer de civilisation de l’Asie, diffusant son influence de façon essentiellement pacifique sur toute sa périphérie. Elle connaît plusieurs périodes fastes, notamment sous la dynastie des T’ang (618-902). Or, ces trois siècles correspondent presque exactement à l’entrée du Tibet dans l’histoire non virtuelle, avec la formation vers 650 d’un Empire puissant et expansionniste, qui se montre capable de faire jeu égal avec la Chine. C’est à cette époque que se sont noués les premiers liens : liens culturels, le Tibet barbare bénéficiant de l’influence civilisatrice chinoise (introduction de l’écriture, du papier et de l’encre, de la soie et de la porcelaine, de la médecine, de l’irrigation, également du taoïsme et du confucianisme) ; et aussi lien dynastique, puisque l’empereur tibétain obtient en 640 la main d’une princesse T’ang, non sans avoir soutenu ses prétentions matrimoniales de démonstrations armées. Aujourd’hui, la propagande chinoise fait de cette union le point de départ de l’appartenance du Tibet à l’ensemble chinois, ce qui est abusif : il s’agit moins d’une tutelle que d’une alliance.

Théocratie, ou système féodal-clérical ? Cet Empire dure un peu moins de trois siècles et disparaît vers 880. Le Tibet entre alors dans une interminable période d’anarchie (plus de huit siècles). C’est le triomphe de la féodalité, quelques dizaines de clans se partageant le pays et sa population (le servage ne sera aboli qu’après 1950). Le Tibet éclate en autant de principautés : c’en est fini de son unité et de sa puissance. Cette période coïncide néanmoins avec l’introduction puis le triomphe du bouddhisme, qui se coule sans difficulté dans le moule féodal. Les seigneuries laïques sont dès lors supplantées par des seigneuries religieuses appuyées sur les monastères. Ceux-ci vont rassembler jusqu’à 25 ou 30 % de la population - proportion unique au monde - dans un type de société elle-même totalement inégalitaire, avec ses classes et ses rangs. Loin de constituer un assemblage harmonieux, ces seigneuries se livrent à de féroces rivalités qui n’ont rien de spirituel, et qui peuvent dégénérer en véritables guerres de monastères (on voit apparaître une classe de moines-guerriers, les dob-dob). Les choses sont encore compliquées par un mode surréaliste de transmission de l’autorité, chaque grand dignitaire étant censé se réincarner après sa mort dans un jeune enfant, qu’il faudra évidemment découvrir avant de l’installer dans ses fonctions. Comme le garçon ne pourra accéder au pouvoir qu’à sa majorité (17 ans pour un Dalaï Lama), il en résulte d’interminables interrègnes confiés à des tuteurs, eux-mêmes recrutés parmi des dignitaires « réincarnés » (trulkous)... Cela revient à organiser l’impuissance politique, en même temps que c’est la porte ouverte à toutes les manipulations. Mais c’est surtout une bonne façon de confisquer l’autorité, ou ce qui en tient lieu : au temps des Dalaï Lamas, en près de 400 ans, le Tibet aura ainsi été « gouverné » par une trentaine de familles. Systèmehautement népotique, évidemment inadapté aux exigences de la souveraineté dans l’acception moderne du terme : non seulement le clanisme atomise le Tibet en autant de principautés rivales, mais encore les principales lignées n’hésitent pas à aller chercher des protections extérieures pour l’emporter sur leurs concurrentes, introduisant ainsi le loup dans la bergerie.

De la protection mongole à la tutelle chinoise Au XIIIème siècle, la fortune tourne à l’avantage de la lignée des Sakyapa, qui s’est placée sous la tutelle des Mongols, qui sont en train de dominer toute l’Asie. En 1254, les Sakyapa se placent sous la protection du descendant de Gengis Khan, Khubilaï, en échange de quoi celui-ci confère à leur grand maître « l’autorité sur tout le Tibet ». Reste à décrypter le sens de cette relation : simple rapport de religieux-protecteur selon l’interprétation tibétaine (d’homme à homme, et non d’État à État), ou relation de vassal à suzerain selon la version chinoise ? On laissera aux faits le soin de trancher. Mais l’événement est capital, puisque peu après Khubilaï se rend maître de la Chine, où il fonde la nouvelle dynastie des Yuan et fait de Pékin la nouvelle capitale de l’Empire (en remplacement de Xi’an). Désormais, l’Empire chinois est fondé à considérer que c’est lui qui assume la fonction de « protecteur » du Tibet. Du côté chinois, les choses n’évoluent pas jusqu’au milieu du XVIIème siècle. La dynastie des Yuan n’a duré qu’un siècle, pour céder la place à la prestigieuse dynastie des Ming (1368-1644). La civilisation chinoise est alors à son apogée. Avec le pouvoir religieux tibétain, les relations sont purement protocolaires, mais il y a un fait nouveau : alors que les Ming s’installent en Chine, on assiste à l’ascension de la lignée des Guélougpas, qui va supplanter celle des Sakyapa. Eux aussi cherchent une protection extérieure et la trouvent chez un roitelet mongol, Altan Khan. En 1578, celui-ci décerne à l’abbé du monastère guélougpa de Drépoung le titre honorifique de Dalaï Lama (« Maître à la sagesse aussi grande que l’océan »). La relation avec le Mongol est double : dynastique, puisque la « réincarnation » de ce premier Dalaï Lama10 est opportunément découverte dans la famille de son protecteur (le Dalaï Lama IV est donc un prince mongol...) ; et politique, puisque en 1642 le descendant d’Altan Khan, Gushi Khan, qui s’est autoproclamé « roi du Tibet », confie au Dalaï Lama V l’autorité suprême sur tout le Tibet, mais sous le contrôle d’un régent (dési). Le règne du Dalaï Lama V, Ngawang Lobsang Gyamtso, qui dure de 1634 à 1682, est un grand règne, le seul de son espèce avant le XX° siècle. Lui et son dési (qui réussit à se maintenir 21 ans après la mort de son maître) jettent effectivement les bases d’un État, dont la capitale est fixée à Lhassa (c’est l’époque de la construction du Potala). On pourrait en conclure que le Tibet s’émancipe alors de la protection chinoise, mais on ne peut ignorer que le dignitaire est l’obligé du Mongol, et que celui-ci est lui-même le vassal de l’Empereur de Chine, à qui il paie tribut... Surtout, cette période correspond à l’avènement en 1644 de la dynastie Qing, d’origine mandchoue, marquée par les deux règnes décisifs de Kangxi (1661-1722 - c’est le « Louis XIV chinois ») et de Qianlong (1735-1796). L’Empire de Chine connaît alors une expansion exceptionnelle, dans toutes les directions : la zone d’influence chinoise est pratiquement multipliée par trois ! Quant au Tibet, il se voit imposer une véritable tutelle : contrôle politique, l’Empereur imposant au Dalaï Lama un « conseiller » qui est en fait un gouverneur (amban), et interférant même dans sa désignation ; contrôle militaire, l’Empire assurant la défense du Tibet contre ses adversaires népalais11 ; et contrôle territorial, une partie des régions orientales du Tibet (le Kham) étant transférée aux provinces chinoises du Qinghai et du Sichuan. Un soulèvement anti-chinois est sévèrement maté (1750) ; les Dalaï Lamas qui se succèdent de 1706 à 1895 ne font guère que de la figuration. Reste un fait essentiel : à aucun moment les Chinois ne cherchent à modifier les institutions de la société tibétaine et à remettre en cause l’ordre féodal-clérical, à la différence de ce qui va ensuite se passer.

Échec d’une ambition Pourtant, les circonstances ont paru servir les visées indépen-dantistes tibétaines entre la fin du XIXème et le milieu du XXème siècle. Plusieurs faits y contribuent. Il y a d’abord la prise du pouvoir par le Dalaï Lama XIII Thoubten Gyamtso, monté sur le trône en 1876 et qui met fin à la régence en 1895. Il va régner jusqu’en 1933 en nationaliste tibétain, désireux de secouer totalement la tutelle de la Chine : on lui doit la déclaration d’indépendance de 1913. Pour une fois, le Tibet a à sa tête un dignitaire qui a la stature d’un chef d’État, et qui pense avoir les mains libres. De fait, l’empire Qing est entré en décadence au début du XIXème siècle, pour atteindre à la fin un état de décomposition qui entraîne son écroulement en 1911, sous les coups d’une révolution républicaine et moderniste. Les raisons de ce déclin sont à la fois intérieures (sclérose du pouvoir impérial, incapacité à moderniser le pays, grandes révoltes comme celle des T’aï-p’ing dans les années 1850-60 ou celle des Boxers en 1900) et extérieures : la Chine est soumise à des assauts répétés de la part des puissances impérialistes occidentales (Angleterre, puis France, Russie et Allemagne), ensuite rejointes par le Japon. De la guerre de l’opium (1838) à l’expédition internationale anti-Boxers de 1900-01, la Chine subit cinq agressions qui sont autant de défaites humiliantes, entraînant un démembrement partiel de son territoire ("break-up") et une perte partielle de sa souveraineté. L’humiliation du pouvoir chinois aurait pu profiter au Dalaï Lama XIII. Mais il doit aussi compter avec la stratégie des grandes puissances impliquées en Asie, pour qui le Tibet n’est qu’un pion (central) sur un échiquier beaucoup plus vaste. Certes, la Russie, l’Angleterre, la France et le Japon sont intéressés à l’affaiblissement territorial et politique de la Chine, ce qui peut les conduire à flatter les autorités de Lhassa, mais ce n’est pas pour les beaux yeux du Tibet, et de plus leurs intérêts divergent. La Russie (alliée de la France) est en pleine progression en Asie centrale (elle atteint le Pamir en 1890) et vers la Mandchourie. Elle se heurte de façon plus ou moins frontale à l’Angleterre, qui cherche à élargir vers le Nord ses possessions des Indes, ainsi qu’au Japon (ces deux puissances finiront par s’allier contre la Russie, en 1902). Le Dalaï Lama essaie d’abord de jouer la carte russe, a priori la plus favorable pour lui, mais c’est l’Angleterre qui prend l’initiative et marque des points, son objectif étant d’étendre son protectorat sur le Sikkim et le Bhoutan et de prendre pied au Tibet. Les choses vont jusqu’à une invasion britannique en 1903-1904. Les forces du colonel Francis Younghusband12 mettent en déroute l’armée tibétaine et entrent dans Lhassa (3 août 1904), tandis que le Dalaï Lama s’enfuit en exil. Le Tibet semble mûr pour un protectorat britannique, mais Londres n’en a pas totalement les moyens et privilégie un arrangement direct avec Pékin. Il s’ensuit une série de traités dans lesquels Britanniques et Chinois s’arrangent sur le dos du Tibet, y compris quand des représentants tibétains sont associés aux négociations. Par le traité de Pékin (1906), la Grande-Bretagne reconnaît la suzeraineté de la Chine sur le Tibet, position à laquelle se rallieront ensuite les autres puissances. Au même moment, les autorités chinoises finissent de réprimer un violent soulèvement qui a éclaté sur les confins orientaux du Tibet, le Kham oriental, théâtre d’entreprises chinoises de colonisation. Insurrection à caractère xénophobe, les insurgés se montrant décidés à « exterminer tous les habitants, même les chiens et les poulets, s’ils suivent les Chinois ». Et ce sont les moines guélougpas qui poussent à la révolte. La répression est impitoyable, le général Zhao y gagnant le surnom de « tueur de lamas ». Pour le Dalaï Lama, c’est la preuve de la violation par la Chine de l’antique relation « religieux-protecteur ». Mais il s’agit d’une région rattachée au Sichuan depuis près de deux siècles, et les Chinois considèrent les insurgés, moines ou laïcs, comme de vulgaires rebelles. La vieille ambiguïté du lien institutionnel sino-tibétain tourne au casus belli...

L’illusion de l’indépendance Sur ces entrefaites a lieu la Révolution chinoise de 1911. L’empire Qing disparaît à jamais, la République est proclamée. Le mouvement républicain a pour chef charismatique un leader de haute stature, Sun Yat-sen, qui ambitionne de faire de la Chine une démocratie pluraliste moderne, et en même temps de restaurer pleinement son unité et sa souveraineté. Malheureusement, le nouveau régime républicain tombe très vite entre les mains de dirigeants ambitieux et corrompus (comme le maréchal Yuan Shikai), et c’est en fait un terrible désordre qui s’installe - il va durer au moins jusqu’à 1928-1930. Rentré d’exil, le Dalaï Lama XIII lance alors sa proclamation d’indépendance (14 février 1913). Le problème, c’est qu’il va être incapable de la faire avaliser par les grandes puissances. Pire : le gouvernement britannique négocie avec Yuan Shikai, avec la participation de représentants tibétains. Il en sort la Convention de Simla (3 juillet 1914), qui réaffirme la suzeraineté de la Chine sur le Tibet. Le Tibet y gagne quand même la possibilité de définir sa frontière orientale, mais les territoires perdus au début du XVIIIème siècle ne sont pas récupérés, et la Grande-Bretagne en profite pour obtenir le rattachement de 90 000 km² à l’Assam indien (voir carte p. 92)... Le Tibet a été dupé par son pseudo-protecteur britannique. À aucun moment le Dalaï Lama n’est en mesure d’aller au bout de sa démarche, y compris lorsque les circonstances (la monstrueuse anarchie qui règne en Chine jusqu’en 1927, la guerre civile qui commence entre les communistes et le nouveau pouvoir de Chiang Kaï-shek, puis les agressions japonaises à partir de 1931...) font que la tutelle chinoise n’est plus que virtuelle. Certes, le Tibet fonctionne comme s’il était indépendant - n’émet-il pas ses propres timbres ? n’impose-t-il pas un visa pour les citoyens chinois se rendant à Lhassa ? Mais cette indépendance n’existe pas d’un point de vue juridique, et c’est cela qui compte à un moment où l’Asie est promise à de gigantesques bouleversements du fait de la Deuxième Guerre mondiale. On le vérifiera de façon cruelle en 1949, lorsque les dirigeants tibétains essaieront de faire reconnaître par l’ONU l’indépendance de leur pays : ils ne recevront aucun soutien, ni de la Grande-Bretagne, ni des États-Unis, ni de l’URSS, ni même de l’Inde, pourtant devenue elle-même indépendante en 1947. Le Dalaï Lama XIII meurt en 1933. Son successeur - l’actuel Dalaï Lama XIV Tendzin Gyamtso - n’est « découvert » qu’en 1935, et sera intronisé, précipitamment, en 1950. Cette période, le Tibet la vit dans une sorte de temps suspendu, sans prendre conscience que tout est en train de changer. Inconscience, ou cécité volontaire ? On peut se demander si le véritable problème du Tibet n’est pas tout simplement celui de l’accession à la modernité, et si le rêve d’indépendance ne camoufle pas la peur d’un changement imposé. Tant que la Chine vivait confinée dans la tradition, les deux pays pouvaient cohabiter dans un même ensemble, sur la base de liens finalement très lâches et que chacun pouvait interpréter à sa façon, l’important étant de sauver les apparences et de faire que surtout rien ne change. À partir du moment où la Chine entreprenait la liquidation de l’ancien régime, cette espèce de contrat implicite était rompu, et la cohabitation devenait insupportable aux yeux des traditionalistes, qui tenaient en mains le pays depuis plus de mille ans. N’oublions pas que le Tibet de 1945 n’avait pratiquement pas évolué depuis le Moyen-Âge, abstraction faite de quelques signes très limités de modernisation : un embryon d’armée organisé à la japonaise, un drapeau, un service postal, une monnaie, une petite station de radio, une petite centrale électrique (hors d’usage...) et trois automobiles... Il est utile d’observer que certains Tibétains étaient partisans d’une modernisation du pays, y compris sur le terrain des institutions politiques et sociales. À la fin des années 1930 se crée à Lhassa un mouvement clandestin, l’Union heureuse, impliquant des hauts dignitaires laïques et religieux, qui veut refonder l’État sur une base républicaine et démocratique. Il est brisé sous prétexte de complot, son principal animateur étant condamné à l’énucléation et à la prison à vie. Il reparaît néanmoins dès 1939, en exil, sous la forme d’un Parti réformateur qui adhère aux principes de Sun Yat-sen (nationalisme, démocratie, socialisme). Il réclame la suppression des privilèges féodaux et la transformation du Tibet en une région chinoise. Naturellement il est brisé à son tour, mais il sera récupéré plus tard par les communistes. On peut probablement y rattacher l’attitude ultérieure du Panchen Lama VII, Kelzang Tséten, allié déclaré des communistes chinois jusqu’en 196413, avant de rompre spectaculairement avec eux. Force est d’observer qu’on voit s’esquisser un double clivage : d’une part l’indépendance et le maintien de la tradition, d’autre part la modernité et l’alliance avec la Chine.

Sous le joug communiste Reste à savoir laquelle. En 1946-47, la guerre civile a recommencé, opposant les communistes de Mao Dzedong (qui ont le soutien de Staline) au gouvernement nationaliste de Chiang Kaï-shek (soutenu par les États-Unis). Ce sont les Rouges qui l’emportent : le 1er octobre 1949, Mao proclame la naissance de la République populaire de Chine (RPC), et impose en peu de temps au pays un régime très proche du système stalinien, dans lequel le Parti communiste (PCC) contrôle l’État et la société de façon hégémonique. Une particularité propre à la Chine : l’importance extrême du rôle de l’armée communiste (dite « Armée populaire de libération », APL) au sein du PCC14. Pour Mao, le Tibet est partie intégrante de la Chine, et le fer de la révolution doit y pénétrer. C’est chose faite en octobre-novembre 1950, lorsque l’APL pénètre au Tibet pour le « libérer » [de la féodalité]. Il y a quelques actes de résistance, mais ils ne vont pas très loin, et l’on voit aussi des monastères prendre parti pour l’envahisseur... Dans un livre publié en 195315, Alexandra David-Néel commente ainsi l’événement : « Qu’est-il arrivé au Tibet ? - Rien qui ne s’y soit déjà passé maintes fois au cours de son histoire. Ne disons pas occupation du Tibet ; l’expression convenable est : réoccupation ». Et plus loin : « Pas un coup de feu n’a été tiré contre les troupes chinoises au cours de leur avance [...], elles ont plutôt été accueillies avec enthousiasme par la majeure partie de la population. Le régime de brutalité et d’exaction qui prévalait dans le pays n’avait pas laissé que d’engendrer du mécontentement parmi ceux qui en étaient les victimes. J’ai entendu exprimer bien des plaintes à ce sujet. Beaucoup de ceux qui [...] avaient fait l’expérience des deux régimes : celui de l’administration chinoise et celui de l’administration tibétaine, préféraient grandement la première à la seconde. » Tenté un moment par l’exil, l’entourage du Dalaï Lama XIV (qui a été intronisé à la hâte, mais n’a encore que 15 ans) choisit finalement de négocier, ou plutôt de capituler, en acceptant l’accord en 17 points que les communistes lui imposent (mai 1951). Si l’on s’en tient à la lettre, il ne s’agit pas d’une absorption pure et simple16, et l’essentiel est préservé, notamment la liberté religieuse et la langue. Cela dit, la Chine maoïste n’est rien d’autre qu’un système totalitaire, et c’est la pratique qui compte - en l’occurrence la mainmise totale du PCC sur tous les leviers de commande, et l’application brutale de ses décisions. Les premières concernent la réforme agraire, imposée à partir de 1954, et qui frappe les grands propriétaires. Elle est menée sans ménagements, en utilisant les mêmes méthodes que celles appliquées dans le reste de la Chine, les gros propriétaires étant traduits devant des tribunaux « populaires », humiliés et souvent exécutés. Elle est suivie de la collectivisation des terres (1955) et de l’abolition du servage et des dettes. Naturellement, ces mesures lèsent en priorité les monastères, principaux bénéficiaires du système féodal, qui adoptent très vite une attitude très hostile. En retour, un certain nombre de monastères sont victimes de vexations et de brutalités, mais ce n’est pas (pas encore) pour des motifs religieux. En fait, on est alors dans un mécanisme très classique dans l’histoire des révolutions, lorsqu’un nouveau pouvoir entreprend de démanteler un système féodal-clérical : on a connu cela en France après 1789 ou au Mexique après 1920, et cela entraîne à chaque fois une chouannerie (une guérilla anti-chinoise, non cautionnée par le Dalaï Lama, apparaît dans le Tibet oriental vers 1955). Le point de rupture est atteint en 1958-59, lorsque la répression contre les monastères devient massive et prend un tour plus nettement anti-religieux, les communistes proclamant que « la foi en la religion et la volonté de la protéger doivent être anéanties ». En mars 1959, tandis que le Dalaï Lama s’enfuit et obtient l’asile politique en Inde, un vaste soulèvement éclate à Lhassa - il sera maté en avril, mais le fossé ne cessera de s’agrandir et l’esprit de résistance de se manifester.

Un problème bien plus vaste Pour autant, il faut se garder de conclusions trop hâtives. L’aggravation des tensions à partir de 1958 reflète la politique du Parti communiste envers la Chine toute entière, à commencer par la terreur qui s’abat à partir de 1965-66, durant laquelle la presque totalité des 6000 monastères tibétains sont anéantis. Même chose encore pour la mise en place du système concentrationnaire de la laogai, qui regroupe dans les années 1960 jusqu’à 10 millions de détenus - les Tibétains y sont « quelques dizaines de milliers »17. C’est que l’histoire de la Chine communiste est le contraire d’une histoire linéaire. Elle est faite de mouvements de va-et-vient aussi soudains que violents, presque toujours incompréhensibles de l’extérieur, et traduisant beaucoup moins des successions de choix que d’impitoyables affrontements de clans et de tendances au sein d’un Parti communiste qui affiche pour l’extérieur une apparence de monolithisme, alors qu’il n’est rien d’autre qu’un abominable panier de crabes. En plus de la propension de tout système totalitaire à violenter la société qu’il prétend modeler, il y a le problème de la place personnelle de Mao Dzedong, despote mégalomane très tôt confronté à l’opposition de responsables moins doctrinaires que lui, et capable de mettre le pays à feu et à sang pour imposer à tout prix sa volonté. L’une des premières épreuves massives est le « Grand Bond en avant », lancé en 1958. Rompant avec le modèle soviétique de collectivisme, le PCC décide de transformer l’ensemble de la société chinoise en une société intégralement communiste, en l’espace de dix ans. On met donc en place le système des « Communes populaires », forme inédite d’organisation sociale, tandis que tous les cadres anciens sont disloqués, y compris la famille. Cela s’applique à la totalité de la Chine, Tibet compris. Il faudra arrêter cette folie au bout de deux ans, mais on compte au bas mot trente millions de victimes, souvent mortes de faim, et un nombre au moins équivalent de naissances perdues. Six ans après, c’est la « Révolution culturelle », probablement l’épisode le plus sanglant de toute l’histoire de la Chine communiste. Mao réussit à mobiliser derrière lui une bonne partie de la jeunesse, regroupée dans les Gardes rouges, investis de la mission de faire table rase du passé (en réalité, de débarrasser Mao des cadres communistes favorables à une ligne pragmatique). Le résultat est effroyable : des millions de morts, une grande partie du patrimoine artistique et culturel chinois anéanti. Naturellement, le Tibet est dans l’affaire une cible de choix, où 20 000 Gardes rouges se déchaînent contre les « Quatre vieilleries » (idées, culture, coutumes, habitudes) : les pertes qui en résultent sont irréparables, plus graves sans doute que dans le reste de la Chine. Ici, il y a bel et bien ethnocide, mais les 18 Provinces ont failli connaître le même sort...

Les occasions manquées Il y a ensuite une phase de rémission qui s’esquisse en 1971-72, et dure jusqu’à 1987-88. Elle aussi correspond aux nouveaux tournants de la politique intérieure chinoise, surtout après la disparition de Mao (1976) et la liquidation du maoïsme (1978), qui permet l’arrivée à la tête du PCC (ou le retour...) de dirigeants communistes beaucoup plus pragmatiques comme Deng Xiaoping ou Hu Yaobang. Tandis que Deng engage la Chine dans une mutation économique qui équivaut à un rétablissement pur et simple du capitalisme18, Hu Yaobang, secrétaire général du PCC entre 1980 et 1987, paraît cautionner une libéralisation qui se manifeste aussi au Tibet19, mais sera sans lendemain. Pourtant, la politique de la main tendue au Dalaï Lama, si elle avait été sincère et durable, aurait peut-être produit des résultats. Depuis son installation à Dharamsala en 1960, le Dalaï Lama a réussi le tour de force de se faire reconnaître comme le représentant légitime du peuple tibétain par la Communauté internationale. Ce n’est pas seulement le fruit de son habileté personnelle : c’est aussi parce que son discours représente une alternative crédible à la politique de force menée par la RPC. Dès 1961, il fait adopter un projet constitutionnel basé sur les principes démocratiques (pluralisme, élections libres, séparation des pouvoirs, y compris entre le temporel et le religieux, respect des droits fondamentaux, etc...) - c’est une rupture avec le Tibet ancien, sinon même le ralliement aux principes de Sun Yatsen... S’agissant des rapports avec la RPC, ses objectifs sont précisés en 1985-87 (en écho avec la démarche de Hu Yaobang ?) : organisation d’un référendum d’autodétermination, réunification du Tibet ethnique, mise en œuvre d’une véritable autonomie permettant au Tibet de maîtriser les conditions de son développement, la Chine ne gardant que le contrôle des relations extérieures. Programme parfaitement réalisable, mais qui ne fera l’unanimité ni dans les rangs les plus radicaux de la résistance (partisans de la lutte armée en vue de l’indépendance), ni dans ceux des religieux conservateurs (peu séduits par la conception laïque de la société). Les événements qui ont suivi, avec en 1988-89 le retour à la répression, ont largement compromis ces efforts. L’option en faveur de l’autonomie (qu’il ne faut pas confondre avec l’indépendance) représente pourtant le meilleur choix - sous réserve qu’elle soit respectée par le pouvoir chinois et qu’elle soit autre chose qu’un paravent servant à camoufler la transformation du Tibet en une colonie de peuplement. Non seulement elle correspond au passé commun de la Chine et du Tibet depuis plusieurs siècles, mais elle est aussi la plus réaliste, ne serait-ce que pour des raisons géographiques et géopolitiques. Il ne faut pas oublier que le Tibet est un pays totalement enclavé, subissant des contraintes physiques peu ordinaires. À moins de vouloir s’enfermer dans une impossible autarcie, ce type de situation rend l’indépendance illusoire. On peut le vérifier en considérant la situation des autres pays enclavés de l’Asie : Mongolie, Laos, Bhoutan, Népal, Afghanistan, Kazakhstan, Kirghizie, Tadjikistan, Ouzbékistan, Turkménistan - aucun ne fonctionne réellement comme un pays indépendant, tous dépendent d’une façon ou d’une autre de la puissance voisine, qu’il s’agisse de l’Inde (Népal...), du Pakistan (Afghanistan...), de la Turquie, de l’Iran ou de la Russie (Mongolie). Même le Kazakhstan, pourtant si bien doté en ressources naturelles et en infrastructures, en est réduit à se placer dans l’orbite russe. Et tous ces pays sont nettement moins développés que leurs voisins (le Bhoutan, le Népal et l’Afghanistan sont parmi les plus sous-développés de la planète). D’autre part, on voit mal comment la Chine pourrait accepter au Tibet une solution sécessionniste. C’est un pays soumis aujourd’hui à des tensions internes énormes, y compris dans les 18 Provinces, du fait d’écarts de développement récents et excessifs. Par ailleurs, la RPC est en butte dans le Xinjiang au développement d’un irrédentisme de plus en plus grave chez les Ouigours turcophones et musulmans, en écho avec le renouveau de l’islamisme. Il ne faut pas se faire d’illusions : le Xinjiang est stratégiquement trop important aux yeux de la Chine pour qu’un gouvernement - quel qu’il soit - puisse laisser les choses aller jusqu’à l’indépendance, sauf bien sûr à vouloir saborder l’État chinois (comme Eltsine a sabordé l’URSS en 1991). Il est bien évident que la question tibétaine fonctionne ici comme un test, en vertu du classique raisonnement sur la théorie des dominos... Quant à la résistance tibétaine, il n’est pas sûr qu’elle ait intérêt à choisir la seule voie armée, compte tenu d’un rapport des forces terriblement défavorable, tant sur le terrain militaire que sur le plan diplomatique. Et on peut rester sceptique sur ses chances de provoquer une action de force de la Communauté internationale : le Tibet n’est pas le Kosovo20, ou plutôt la Chine (puissance nucléaire jouissant d’un droit de veto à l’ONU21) n’est pas la Serbie... En tout état de cause, la clé du problème se trouve d’abord en Asie, et on peut se demander s’il n’existe pas un décalage entre ses donnéesobjectives et ses données subjectives. « Le Dalaï Lama, écrit Odon Vallet, a fréquemment proposé une formule de large autonomie au sein de la RPC. Mais cette solution ne reçoit qu’un soutien mitigé de la part des pays bouddhistes de la région qui ne souhaitent pas s’attirer les foudres de Pékin. [Il] cherche en Europe, bien loin des querelles tibétaines, les soutiens médiatiques et les adhésions spirituelles. Mais le sort du territoire dépend d’abord des grands équilibres asiatiques. Le récent réchauffement des relations entre l’Inde et la Chine pousse à un règlement négocié des conflits himalayens. Il reste à souhaiter que les populations soient entendues et les traditions respectées afin que le Tibet autonome puisse mériter toujours son nom chinois de Xizang, le "trésor de l’Ouest"22. » Pour qu’une solution pacifique aboutisse, il faut d’abord qu’il y ait des deux côtés une réelle volonté démocratique, et ici la balle est évidemment dans le camp de la Chine, ou plutôt de ce qui reste du système totalitaire mis en place dans les années 1950. Car il ne faut pas oublier que c’est la Chine toute entière, et pas seulement le Tibet, qui en est la victime. La question des droits de l’homme au Tibet, c’est aussi celle des droits de l’homme à Pékin, à Shanghaï ou à Canton, ainsi que l’exprimaient autrefois les étudiants du mouvement démocratique lorsqu’ils criaient, en 1989 : « Le Tibet est Tien Anmen, Tien Anmen est le Tibet ! ». Ce n’est évidemment pas une raison pour ne pas faire acte de sympathie et de solidarité en faveur des Tibétains, mais peut-être ne faut-il pas opposer leur combat à celui des démocrates de Chine, en s’enfermant dans une vision reconstruite des réalités tibétaines. Ce serait une superbe revanche de l’histoire, si les retrouvailles de la Chine et de la Liberté pouvaient avoir pour origine ces territoires où ses fleuves trouvent leur source...

Notes 1 Les dépenses militaires dévorent 1/3 des ressources budgétaires du Pakistan. Sachant qu’une expédition au K2 rapporte actuellement 12 000 $ de royalties, on peut estimer que ce sont à chaque fois 4 000 $ qui vont satisfaire ces besoins, que ce soit au profit des talibans, sur le « front » du glacier Siachen, ou pour l’entraînement des moudjahidin voués aux actions clandestines anti-indiennes, sous le contrôle de l’ISI (services secrets pakistanais)... 2 Je fais ici de larges emprunts à un article non publié de Sylvain Jouty, Naissance du mythe himalayen, avec sa pleine autorisation - qu’il en soit remercié. On trouvera sur Internet une étude en anglais extrêmement détaillée du phénomène, due à un chercheur australien, Harry Oldmeadow, sous le titre The western quest for Secret Tibet. http://www.esoteric.msu.edu/VolumeIII/HTML/Oldmeadow.html 3 Voir Jean-Michel Asselin, La conversion d’Harrer, Vertical n° 102, octobre 1997, pp. 68-73, sur la base d’une enquête de David Roberts non publiée en France. Noter que le Nanga Parbat est au Pakistan, donc à l’époque dans les Indes britanniques. 4 Paul-Louis Rousset, Les Alpes et leurs noms de lieux. 6000 ans d’histoire, Ed. Poncet, Echirolles, 1988. 5 Il devait même être candidat à la vice-présidence pour l’élection de 1940, mais ne reçut pas l’investiture du Parti démocrate... 6 Toute cette histoire a été examinée par Peter Bishop : The Myth of Shangri La. Tibet, travel writing and the western creation of Sacred Landscape, University of California Press, 1989. 7 Frédéric Lenoir, Les nouveaux bouddhistes d’Occident, revue L’Histoire, n° 250, janvier 2001, pp. 34 et suiv. F. Lenoir est un spécialiste reconnu de l’histoire des religions. 8 Il n’existe actuellement en français qu’un seul ouvrage complet sur cette question : Laurent Deshayes, Histoire du Tibet, Ed. Fayard, 1997. L’auteur, qui est visiblement un tibétophile, délivre p. 16 cet avertissement : « Il est tentant de partir de la situation actuelle des Tibétains, dramatique à bien des égards, pour lire l’histoire de leur pays. Il ne suffit pas cependant d’être une victime aujourd’hui pour blanchir le passé, ni d’avoir pour chef de l’État exilé un apôtre de la paix pour présumer de la probité de la structure religieuse et politique du Tibet d’autrefois. » 9 Voir Odon Vallet, Les moines-soldats du zen, L’Histoire, n° 250, janvier 2001, p. 46. 10 Considéré comme le troisième, ses prédécesseurs ayant été titularisés à titre rétroactif... 11 En 1792, les Gourkhas doivent reconnaître la suzeraineté chinoise... 12 Officier, puis diplomate et... alpiniste, auteur de L’épopée de l’Everest... 13 La lignée des Panchen Lamas a été créée en 1567 par le Dalaï Lama III, à l’origine pour honorer son maître spirituel. Plus tard, on voit les Panchen Lamas exercer éventuellement la régence, à l’occasion d’un interrègne ou de la minorité d’un Dalaï Lama, et aspirer à un rôle politique de plus en plus important. Ce dédoublement de l’autorité comportait évidemment le risque d’une rivalité - elle finit par éclater à partir de 1910, quand le sixième Panchen Lama joue ouvertement la carte pro-chinoise contre le Dalaï Lama et les partisans de l’indépendance. Son successeur se rallie aux communistes en 1950, mais il n’a alors que 12 ans, et on peut penser qu’il a été manipulé par les Rouges. Il est prudent de ne prendre son action en considération qu’à partir de la fin des années 1950. 14 Ce système est pratiquement encore en place en 2001. Le poids des militaires est une des explications de sa survie, ainsi que l’ont montré les événements de juin 1989, avec la féroce répression du mouvement démocratique de la place Tien-Anmen. 15 Le vieux Tibet face à la Chine nouvelle, Ed. Plon, 1953. Citations pp. 12 et 18. 16 En 1965, le Tibet devient une "Région autonome" (RAT), où la nationalité tibétaine est théoriquement reconnue. La pratique est évidemment fort éloignée de la théorie... 17 Voir l’ouvrage de Jean-Marie Domenach, Chine : l’archipel oublié, Fayard, 1992. Sur la situation particulière du Tibet : pp. 542-543 ; pour le Qinghai : p. 541. 18 ...tout en prétendant le contraire. C’est une perestroïka économique, mais pas question pour autant de conduire une démocratisation politique : on s’en apercevra en 1989 sur la place Tien-Anmen. 19 « Ses critiques sur la gestion humaine et économique des dernières années sont sans détour. Il reconnaît publiquement que la politique de la RPC se résume au "colonialisme" le plus obtus [...]. Après sa visite, le comité régional du PCC est épuré et le Comité central prend des mesures salutaires : exemption des impôts pendant trois ans, autonomie dans le choix des cultures dans les communes populaires, agrandissement des lopins privés dont la surface totale peut atteindre 10 % de la surface des terres collectives, stimulation de l’artisanat, prise de fonction de Tibétains à des postes à responsabilité, enfin sauvegarde de la culture. Surtout, Pékin propose au Dalaï Lama de faire table rase du passé, et n’hésite pas à le présenter comme un des éléments stabilisateurs d’une Chine lancée dans une nouvelle voie de développement. [...] Des milliers de détenus sont libérés et Lhassa, déclarée ville ouverte, devient accessible aux étrangers. Les différents degrés de l’administration [...] sont occupés par un nombre croissant de Tibétains. Lhassa s’enrichit d’un Institut d’études bouddhiques (1983), bâti aux pieds de Drépoung, et d’une université (1985). Le tibétain est de nouveau utilisé dans l’administration et les ouvrages de référence religieux ou historiques tibétains sont réédités. Décision symbolique : en 1987, le grand rassemblement du nouvel an, la Meunlam Tchenmo, est autorisé après avoir été interdit pendant une vingtaine d’années. Si Hu Yaobang ne remet pas en cause les implantations massives de colons chinois et ne laisse pas de doute sur l’appartenance du Tibet à la Chine, du moins permet-il au Tibet de ne pas sombrer définitivement. » Deshayes, ouvr. cité, pp. 351-353. Rappelons que cet auteur est un défenseur convaincu de la cause tibétaine. 20 Sans compter que le jusqu’au-boutisme profite généralement aux plus extrémistes, au risque de provoquer ensuite de rudes atterrissages. Voir pour cela l’histoire de l’ETA basque ... 21 Et de surcroît pays en pleine croissance économique, et donc marché alléchant pour les investisseurs du monde entier... La morale voudrait que ce soit un moyen de pression, mais on peut craindre que la résistance tibétaine ait été exterminée jusqu’au dernier partisan avant que la morale ne régisse le monde ! 22 Odon Vallet, Du mauvais usage du Dalaï Lama, L’Histoire n° 209, avril 1997, p.12.

 

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